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17 mars 2009 2 17 /03 /mars /2009 15:27

Voici les résumés des communications du colloque "Valoriser les patrimoines militaires" qui s'est tenu à Brest en 2008.
Vous pouvez retrouver l'intégralité des textes dans les actes du colloque publiés aux Presses universitaires de Rennes

 

■ Paysage naturel et patrimoines militaires
Président de séance : René STÉPHAN


■ Les patrimoines militaires en forêt : identification, conservation et aménagements. Le cas des champs de bataille de la Grande Guerre en France

Jean-Paul AMAT
Professeur, UFR de géographie et Aménagement, Université de Paris Sorbonne (Paris IV), Directeur Laboratoire Espaces, Nature et Culture (UMR 8185 CNRS)


Sur les champs de bataille de la Grande Guerre dans le nord-est de la France, les secteurs des fronts de la guerre de position qui étaient forestiers en 1914 et le restèrent, et ceux qui le devinrent durant la Reconstruction (1919-1929) abritent un patrimoine militaire diversifié et de grande valeur, mais de plus en plus fragile et menacé. Les réseaux et les structures caractéristiques de l’organisation du système frontal sont ainsi bien conservés en Argonne, haut lieu des combats de 1915 et de la guerre des mines. L’exposé aborde les questions de l’intégration de ce patrimoine à la gestion forestière, par le biais de l’instrument de gestion qu’est le plan d’aménagement forestier : quoi conserver, quoi sacrifier ? qui instruit, qui juge et qui décide ? quelle place donner à la concertation avec les élus, les collectivités territoriales, les associations ? comment préserver, dans un contexte de promotion du développement durable, alors que le milieu forestier est fait de dynamique biologique, de contraintes biophysiques et d’impératifs économiques, dont celui de l’accueil « touristique » ?


■ Entre histoire et nature : la valorisation de Brouage et de son environnement

Thierry SAUZEAU
Maître de conférences d’histoire moderne, Université de Poitiers, Groupe d’Études et de Recherches d’Histoire en Centre-Ouest (GERHICO-EA 2625), Co-directeur Institut d’Études Acadiennes et Québécoises (IEAQ)


Ce projet de communication se propose de présenter l’expérience « intégrée » de valorisation d’une citadelle en ruine dans son environnement déprimé : Brouage et ses salines.

En premier lieu, on procédera à la mise en perspective historique, sur le temps long, de la création d’un paysage, celui du sel, et d’une citadelle des temps modernes. Située au cœur de l’ancien golfe saintongeais, la citadelle de Brouage est riche d’une double histoire, géologique et environnementale d’une part, politique et militaire d’autre part. Après avoir vécu son apogée au seuil du XVIIe siècle, elle a ensuite subi maints déclassements. Tour à tour « coffre-fort » européen du sel, place maritime et commerciale internationale, puis port de guerre et arsenal de la Marine, Brouage a amorcé au XVIIe siècle de douloureux cycles de reconversion. Parc d’artillerie puis prison politique aux XVIIIe et XIXe siècles, tandis qu’elle se vidait de ses habitants, la citadelle a subi les contrecoups de la ruine de ses remparts et de ses bâtiments ainsi que de l’enfrichement de son environnement, accentué par la ruine des marais salants. Au XXe siècle, Brouage n’était plus que le village exsangue et oblique d’une petite commune rurale de Charente-Maritime, nommée Hiers.

On poursuivra par l’examen de la méthode empruntée par les acteurs de la valorisation de ce patrimoine militaire. De la première phase de restauration / conservation, engagée dans les années 1960, aux initiatives des collectivités (commune, département) dans le cadre des lois de décentralisation (années 1980), on tirera le bilan essentiellement d’actions ciblées sur le patrimoine bâti. C’est cependant bien plus avec la mise sur pied d’un projet « intégré », piloté par un syndicat mixte de valorisation et d’animation, que sont venues les avancées décisives. La renaissance de Brouage date en effet de l’année 1989. à partir de recherches historiques mais aussi de fouilles archéologiques, on a alors méthodiquement recensé les thèmes susceptibles de servir de support à 18 actions planifiées, propres à activer le levier du développement touristique. Par ailleurs, la prise en compte de la « vague environnementale », a annexé au dossier l’intégration du littoral mais aussi des hectares d’anciennes salines, devenues marais « gâts » (dédiés à l’élevage extensif) ou claires ostréicoles. Il sera finalement question d’envisager les aspects de la cohabitation entre valorisation des patrimoines militaire et environnemental, dans la mesure où Brouage se situe également dans une zone littorale d’intérêt floristique et faunistique reconnue à différentes échelles (département, État, Europe). Actuellement, si la citadelle peut se flatter de recevoir annuellement 500 000 visiteurs, le succès de l’expérience n’est pas sans poser quelques questions. C’est pourquoi, au terme de l’exposé, il pourra être utile de se livrer à un exercice de prospective. Entre valorisation et animation, la question du renouvellement et de l’actualisation du projet fournira une première approche. Par ailleurs, le thème de l’appropriation par les habitants, de lieux revivifiés par le développement patrimonial, devra être examiné. Enfin, il pourra être question d’envisager la problématique de la « gouvernance » du dossier de valorisation, au sein d’un milieu local (associatif, politique) en perpétuelle évolution.

Au final, ces approches croisées devraient permettre de souligner quelques unes des exigences et des contraintes fondamentales des expériences de valorisation d’un patrimoine militaire en zone sensible et littorale.


■ Patrimoine fortifé « terre et mer »
Président de séance : Bernard CROS


■ La valorisation du patrimoine défensif finistérien : l’exemple des batteries de L’Aber (Lanildut) et de Toul-Logot (Plougonvelin)
Jean-Yves ÉVEILLARD, Association « PHASE », Plougonvelin, Maître de conférences honoraire d’histoire antique, Université de Bretagne Occidentale ,
Jean-Yves BESSELIÈVRE, Association « Valoriser les Patrimoines Militaires »


Le Finistère conserve les vestiges de très nombreuses fortifications littorales qui témoignent du rôle de province frontière joué par la Bretagne du XVIIe au XXe siècle. À côté d’édifices majeurs tels ceux de Camaret ou de Bertheaume, ce patrimoine est constitué d’une multitude de batteries de côte. Ce petit patrimoine demeure souvent méconnu et rarement valorisé. Depuis 2002 et 2007, deux batteries appartenant au Conseil Général font l’objet d’une étude et d’une valorisation qui visent à faire redécouvrir ce patrimoine. Remarquablement préservée, la batterie de l’Aber (Lanildut) a été sauvegardée et valorisée grâce à un projet initié par une association locale et la municipalité. Édifiée vers 1742, cette batterie protégeait le commerce très actif du petit port de Lanildut. Désarmée à la fin du XIXe siècle, totalement oubliée par la population, elle a conservé la totalité de ses installations et constitue aujourd’hui un témoin exceptionnel.

Outre la restauration du bâti par des bénévoles, la première phase de valorisation s’est traduite par l’installation d’une réplique de canon et d’affût. Ce projet a été réalisé pour partie dans le cadre d’un projet pédagogique au sein d’un collège brestois. L’installation d’une signalétique d’information du public a complété l’ensemble. Une seconde phase de travaux, en cours d’étude, sera menée en 2009.

La batterie de Toul-Logot en Plougonvelin entrait dans le dispositif destiné à assurer la défense du port de Brest, principal port d’attache de la flotte de guerre de Louis XIV contre les entreprises anglaises. Excellemment située sur une pointe rocheuse vis-à-vis du célèbre fort de Bertheaume, elle devait empêcher tout mouillage et tout débarquement de forces ennemies sur la grande plage du Trez-Hir. On sait qu’elle fit l’objet d’un réaménagement et d’un complément d’équipement dans les années 1680-1690 à l’initiative de Vauban. Le rapport d’inspection du 22 mai 1793 fait état d’une batterie de six pièces, d’un magasin à poudre et d’une guérite en bon état. Les progrès de l’artillerie ayant rendu caduc ce dispositif, l’ensemble de la batterie fut remis aux Domaines en 1857, puis cédé à des particuliers et enfin abandonné à la fin du XIXe siècle.

L’association d’histoire locale PHASE, à l’occasion de la commémoration du tricentenaire de la mort de Vauban, a pris l’initiative de réhabiliter ce patrimoine situé sur le passage très fréquenté du GR 34. Une fouille archéologique préliminaire autorisée par le Service Régional de l’Archéologie a eu lieu au cours du mois de juin dernier. Elle a permis de retrouver les niveaux de circulation d’origine, de récupérer des artéfacts liés à la fréquentation de la batterie et de mieux comprendre l’agencement de celle-ci. Liées par leur rôle dans la défense du port de Brest, ces batteries ont également en commun leur proximité avec un même circuit de randonnée. Autant d’éléments qui plaident en faveur d’une valorisation en réseau, avec d’autres fortifications littorales du département ; une démarche appelée de ses vœux par le Conseil Général du Finistère.


■ La «Route des fortifications » : projet de mise en valeur du patrimoine militaire de la Presqu 'île de Crozon

Ségolène GUÉGUEN
Chargée de mission Communauté de Communes de la Presqu’île de Crozon


Le caractère remarquable du patrimoine militaire de la presqu’île de Crozon, riche d’environ 150 fortifications s’échelonnant de la Préhistoire à aujourd’hui, méritait une mise en valeur de qualité. Un circuit de découverte intitulé la « Route des Fortifications », mis en place par la Communauté de Communes de la Presqu’île de Crozon en 2007, vise à mieux faire connaître ces forts aux habitants et aux visiteurs de la Presqu’île.

Depuis de nombreuses années, élus et historiens souhaitaient valoriser le patrimoine défensif et militaire de la Presqu’île malheureusement délaissé. Dans le cadre des actions de développement touristique prévues dans sa compétence « développement économique », la Communauté de Communes s’est donc lancée dans un projet de valorisation de ce patrimoine.

Toutes les fortifications ne sont pas encore visibles ou accessibles, plusieurs d’entre elles appartenant toujours au ministère de la Défense. Une quinzaine de sites s’échelonnant sur différentes époques ont donc été sélectionnés pour la première phase de la Route des Fortifications.

Le caractère remarquable des sites naturels de la Presqu’île justifie l’attention particulière portée au respect de l’environnement, tant dans l’étude des sites que dans le choix des modes de valorisation. C’est pourquoi tous les sites ne sont pas valorisés de la même façon : certains ne comportent pas de panneau, soit par souci d’intégration paysagère, soit pour des raisons d’accès interdit en zone militaire. Les visites proposées permettent essentiellement de découvrir les ouvrages de l’extérieur.

Pour faire vivre ce projet, des outils de découverte sont mis à disposition des visiteurs et des habitants de la Presqu’île.

Une brochure gratuite est disponible dans tous les offices de tourisme et les syndicats d’initiative. Cette brochure, constituée d’une carte et d’un rapide historique, permet de guider les visiteurs jusqu’aux sites et d’expliquer la vocation défensive de la Presqu’île à travers les siècles.
Des panneaux d’information ont été installés sur certains sites. Grâce à des textes simples et des illustrations pédagogiques et ludiques, ces panneaux permettent de comprendre le rôle et l’évolution de ces fortifications dans la défense du port de Brest, élu arsenal de 1er ordre sous Louis XIV.

Un guide de découverte de qualité sur les fortifications en presqu’île de Crozon a été édité. Il offre une vue d’ensemble de l’histoire défensive de la presqu’île et des pages détaillées sur les ouvrages les plus remarquables, notamment ceux qui ne sont pas encore visitables. Des illustrations et des photos permettent de découvrir ce patrimoine important de la Presqu’île.
Des animations sont également organisées autour de ce projet : des conférences, une exposition, un rallye vélo, des visites guidées...

La Route des fortifications est appelée à grandir : elle intégrera de nouveaux sites au fur et à mesure des travaux de mise en sécurité et des cessions d’emprises militaires. Un autre souhait des élus est que cette « Route » puisse être intégré dans un réseau composé des autres projets de mise en valeur du patrimoine militaire à l’échelle du pays de Brest, du département et de la région.


■ La défense côtière de Guadeloupe : exemple d’étude préalable à la valorisation

Jonhattan VIDAL
Responsable des recherches « Batteries côtières de Guadeloupe »


Depuis janvier 2007, des prospections archéologiques sont menées en Guadeloupe afin d’établir un état des lieux de son patrimoine militaire. L’étude des batteries d’artilleries qui constituaient le système défensif guadeloupéen du XVIIe au milieu du XIXe siècle, répond à une commande des pouvoirs publics - DRAC et Région - soucieux de valoriser un patrimoine largement délaissé sur ce territoire. Les structures mais aussi les pièces d’artillerie sont dans 90 % des cas fortement dégradées en raison d’une végétation rapide et envahissante qui détruit les vestiges. Les conditions d’abandon aggravent souvent la situation. Une absence quasi-totale d’information quant à la nature de ce patrimoine empêche toute prise de conscience de la part des publics. Le patrimoine militaire guadeloupéen témoigne des nombreux confits qui ont opposé l’Angleterre et la France sur la mer des Caraïbes et dans les colonies d’outre-mer, ainsi que d’une résistance aux fréquents actes de piraterie. Ces aspects de l’histoire de l’île, rarement évoqués, font pourtant partie intégrante de son identité. D’autre part, les vestiges disséminés sur l’ensemble du littoral constituent un témoignage fort de la relation terre - mer de cette île : la défense sur terre d’attaques venues de la mer. La mise en valeur des côtes défensives permettra la redécouverte d’un territoire, une nouvelle approche du paysage, où les distances sont vues en portées de tirs, les mouillages en passes de navires, les avancées dans la mer en points stratégiques. Ce travail sur les fortifications guadeloupéennes constitue une étude préliminaire et propose une méthodologie qui s’inscrit dans un schéma global de mise en valeur du patrimoine militaire. En effet, avant toute réflexion sur les moyens de valorisation, il est indispensable de connaître avec précision le patrimoine : conditions, localisations, évolutions, etc. L’acquisition de cette connaissance passe par la compulsion des travaux existants et par la recherche et l’étude des vestiges sur le terrain. En découle la constitution du discours scientifique, socle incontournable de toute communication. Enfin, ce n’est que suite à une étude globale, suivant une méthodologie précise et normalisée, et offrant une vision spatiale de l’ensemble des vestiges militaires, que l’on peut effectuer des choix raisonnés concernant ce qui est représentatif, ce qui est exceptionnel, et ce qui nécessite entretien ou soin particulier.

Ces choix nous permettent de préconiser des modes de valorisation aux propriétaires : restitution d’un état en relation avec une période historique et les modèles d’artillerie en place ; disposition des pièces sur des affûts correspondant à la typologie du bâtiment ; élaboration de parcours-découvertes ; randonnées ; mise en place d’une signalétique etc. Cette mise en valeur des fortifications côtières de Guadeloupe constitue un axe porteur de développement durable. Une région de tradition touristique souvent tournée vers les loisirs de nature pourrait s’enrichir d’un volet culturel et patrimonial pertinemment conçu. Cette présentation du projet en cours apporte une visibilité nécessaire aux actions menées en outre-mer, et nous permet plus particulièrement de l’inscrire dans un réseau de recherche d’envergure. Ce dernier pourrait influer sur les futures orientations du projet par des échanges d’expériences et de compétences.


■ Construire des territoires avec Vauban. Le réseau des sites majeurs à l’Unesco

Nicolas FAUCHERRE
Professeur d’histoire de l’art médiéval, Université de Nantes


Trois siècles après sa mort, Vauban est au cœur des projets de territoires. L’inscription au patrimoine mondial de ses douze plus belles forteresses arrive lors d’un tournant important pour ce patrimoine militaire, en raison de la construction européenne. Au moment où l’État-Défense se défait de la quasi-totalité de ses forts, où l’État-Culture voit ses moyens dangereusement affaiblis tout en espérant conserver une forte tutelle, les collectivités territoriales héritent de friches militaires et de responsabilités nouvelles qui sont à la fois fardeaux financiers, compétences à acquérir et instruments symboliques de leur émancipation. Née à l’initiative d’un réseau de villes disparate, cette initiative « périphérique » exprime aujourd’hui la difficulté et l’urgence d’une dynamique et d’un langage communs enfin dotés d’une vision européenne, voire mondiale, puisque nombre de forteresses se mettent désormais en tourisme à travers le monde en se réclamant, en toute légitimité, « filles de Vauban ».

 

■ Patrimoine technique, industriel et scientifique
Président de séance : Jean-Pierre AMAT


■ Un arsenal... des arsenaux. Rochefort, patrimoine et territoire. Éléments pour une action de reconnaissance internationale

Martine ACERRA
Professeur d’histoire moderne, Université de Nantes


Depuis les années 1970, la ville de Rochefort a mené diverses actions en direction du patrimoine bâti - disproportionné par rapport à ses moyens -qu’elle a hérité ou racheté de la Marine.

L’exemple de la reconstruction de la corderie royale en est une parmi d’autres. Face à l’ampleur des opérations, mais dans un esprit de sauvegarde et de vivification économique, les collectivités locales ont pris un virage décisif face à ces patrimoines au début des années 2000 dans le cadre géographique du Pays Rochefortais. Une charte patrimoniale, validée et signée par les Élus riverains de la Charente, montre la prise de conscience d’un territoire cohérent et structuré par l’ancienne activité maritime et industrielle de son arsenal du XVIIe au XXe siècle.

L’étape suivante, toujours d’actualité, a consisté en la candidature de l’arsenal de Rochefort et de son estuaire au patrimoine mondial de l’UNESCO. Elle s’accompagne d’une mise en comparaison des éléments patrimoniaux existant par ailleurs en France et en Europe, l’objet de la demande d’inscription évoluant vers une candidature en série internationale avec les arsenaux de Chatham et Ferrol.

Dans le domaine de l’action, des éléments patrimoniaux emblématiques (par exemple, magasin aux vivres, pyrotechnie du Vergeroux) font l’objet de projets de réutilisation en cours d’évaluation ou de réalisation, d’autres sont protégés ou valorisés de longue date (Fort Lupin, Fontaine Saint-Nazaire, entre autres).

Les opérations passées, présentes, futures permettent de souligner quelques conditions indispensables à la préservation économiquement dynamique de ce type de patrimoine militaire et maritime, parmi lesquelles il convient de citer les partenariats institutionnels et privés, ou encore la prise en compte des multiples formes que prend ce patrimoine, depuis la masse des bâtis jusqu’à ses modestes éléments, outre des ensembles immatériels ou naturels répartis sur un territoire fragile, soumis comme toute zone littorale, à la pression immobilière.

Des solutions ne pourront surgir que si Élus et Populations s’emparent de ces patrimoines pour en faire, sur le long terme, leur objet dans leur cadre de vie et le partager avec visiteurs et nouveaux venus.


■ Entre reconversion & éradication, quelle place pour la problématique patrimoniale à la Base des Sous-Marins de Keroman (1993-2008) ?

Christophe CÉRINO
Docteur & Ingénieur de recherche en histoire moderne, Enseignant à l’Université de Bretagne Sud, Président-fondateur du Musée sous-marin du Pays de Lorient


L’évocation du dossier des restructurations de la Défense à Lorient attire aussitôt le regard sur Keroman, première fermeture d’envergure d’une unité de la Marine nationale et de l’imposante base sur laquelle les sous-mariniers se sont appuyés pendant plusieurs décennies. Du défi de la reconversion d’une des plus grandes friches industrielles et militaires d’Europe jusqu’à l’ouverture récente de la Cité de la voile Éric Tabarly, quelle place a-t-il été accordée aux réalisations patrimoniales sur un site emblématique de la bataille de l’Atlantique et du totalitarisme nazi ?

Notre communication se propose de dresser un état des lieux du dossier ouvert en 1992 en évoquant les représentations, les enjeux et les problèmes posés par le site de Keroman jusqu’à la place accordée aux activités patrimoniales aujourd’hui.


■ Le patrimoine immobilier de la marine. Identification, protection, mise en valeur

Bernard CROS
Ingénieur en chef de la marine, Direction des travaux maritimes, Département Conduite et réalisation des opérations


Implantée au cœur de zones portuaires qui lui sont propres depuis des siècles, la marine a édifié un patrimoine portuaire spécifique, protégé par des ouvrages de défense côtière patiemment modernisé à mesure de l’évolution des armements. Le patrimoine portuaire, réutilisé au cours des temps, a été construit pour construire, armer et soutenir des flottes nombreuses. Ses bâtiments et ouvrages reflètent les différentes fonctions dévolues aux composantes des arsenaux maritimes.

Du fait du caractère stratégique des ports militaires, ceux-ci ont largement subi les conséquences des destructions du second confit mondial. Ils ont toutefois conservé de nombreux témoignages architecturaux, permettant d’illustrer l’histoire de ces lieux où s’est forgée et développée la puissance maritime de la France au cours de ses apogées passées. Les fronts de mer des ports de guerre, relativement épargnés en dépit des confits maritimes, constituent de véritables musées éclatés de l’art des fortifications maritimes. La marine nationale a pris conscience de la valeur de ce patrimoine au début des années 1990. Lorsque la commission du patrimoine maritime fut créée en 1992, son champ d’action couvrait aussi bien le patrimoine naval, aéronaval et de traditions, que le patrimoine architectural. Celui-ci fut recensé à partir de 1993 par les services locaux des travaux maritimes. Qu’il s’agisse du patrimoine portuaire ou du patrimoine fortifié côtier, l’ensemble des lieux dépendant de la marine fut ainsi redécouvert, avec un regard neuf. Les arsenaux maritimes et les pyrotechnies associées ont ainsi livré des témoignages vivants, dont la connaissance était auparavant réservée aux seuls passionnés. En 1996, la commission du patrimoine de la marine publiait le résultat des ces recherches. Près de 200 lieux, ouvrages ou édifices étaient rassemblés pour la première fois au sein d’une publication thématique d’ensemble. Après cette phase d’identification venait une phase de réflexion sur les mesures à mettre en œuvre en faveur de ce patrimoine souvent méconnu. La notion de « patrimoine digne d’intérêt » était adoptée, afin d’éviter de faire subir à ces ouvrages des interventions inadaptées ou malheureuses, et dans le but de les faire bénéficier d’actions de préservation ou de mise en valeur. Des actions d’urgence ont été menées sur certains ouvrages particulièrement dégradés ou menacés.

En matière de protection, une action unique a été menée à Toulon, au profit du patrimoine portuaire. En 2000, des démarches ont été engagées à l’initiative de la marine nationale afin de créer des zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), centrées sur les éléments dignes d’intérêt situés dans le port militaire. Cette action s’est concrétisée en 2007, lors de l’approbation du nouveau plan d’occupation des sols de la ville de Toulon.

La communication proposée portera sur une présentation des différentes étapes résumées plus haut. Elle mettra en relief les éléments caractéristiques d’ensemble ou particuliers du patrimoine de la marine, tel qu’il a été recensé. Elle présentera les modes d’action mis en place autour des ZPPAUP du port militaire de Toulon.


■ La mise en valeur de la forteresse de Jülich

Andreas KUPKA
Directeur du Museum de la citadelle de Jülich (Allemagne)


L’ancienne ville romaine de Jülich, située entre Aix-la-Chapelle et Cologne, abrite deux importants exemples de l’architecture de fortification : la Citadelle de la Renaissance et le Brückenkopf de l’époque Empire. La ville et la forteresse de Jülich furent tracées sur une planche à dessin : en 1547 un grand incendie n’épargna que quelques maisons médiévales. C’est ainsi que l’architecte italien Alessandro Pasqualini, connu depuis 1530 aux Pays-Bas comme architecte civil et militaire a pu réaliser sur ordre ducal son idée d’une ville idéale complexe et forteresse de la Renaissance : des rues larges et droites qui épousent le pentagone de la forteresse entourant la ville et dont le cinquième angle est occupé par la citadelle. Les caractéristiques essentielles de ce tracé – esquissé sur le plan de la ville et encore discernable sur la photo aérienne – restèrent inchangées jusqu’à nos jours. L’ouvrage de fortification de la ville, aujourd’hui disparu, était disposé en pentagone dont quatre coins étaient occupés par des bastions et reliés entre eux par des murs droits de 8 m de hauteur et jusqu’à 22 m d’épaisseur ; le cinquième coin était la citadelle. à partir de 1547, les travaux d’Alessandro Pasqualini sous le duc Guillaume V représentent deux faits : l’art de la construction fortifiée moderne et – avec le château ducal – le début et en même temps un apogée de la Renaissance Italienne en Rhénanie.

Le cœur de la forteresse jülichoise était la citadelle de forme carrée. Construite au nord de la ville, sa surface de 9 ha dépassait la superficie de la ville d’antan. La longueur du côté entre les angles extrêmes du rempart est de 300 m, les courtines ont une épaisseur de 35 à 43 m, la largeur du fossé est de 33 m. Le mur de la forteresse mesure 2,2 km de pourtour sur une hauteur de 12 m. Les remparts et les bastions renferment des casemates et des poternes qui sont partiellement accessibles lors des visites guidées. Le bastion St. Jean est accessible par une poterne et mène au niveau de défense supérieur. Le bastion offre une vue sur la courtine sud, sur le bastion situé en face avec ses cours d’armes et sur la ville. Au centre du bastion se trouve une poudrière datant de l’époque de Napoléon (1807) parfaitement restaurée.

Pendant la Seconde Guerre mondiale deux bombes ont traversé le bastion jusqu’aux casemates situées au niveau du fossé ; le lieu de l’impact a été recouvert lors de la restauration et offre sur sa face interne une vue sur la structure des remparts.

Dans la cour intérieure de la citadelle s’élevait le château ducal avec ses quatre ailes de 73 m de côté ; le bâtiment scolaire actuel repose sur sa cave avec des voûtes impressionnantes (accessible en partie lors des visites guidées). L’aile côté est avec sa chapelle particulièrement précieuse du point de vue de l’histoire de l’art et l’aile nord jusqu’à la porte authentique de la cour du château ont été restaurées suivant l’ouvrage original. Cet ensemble a subi de sérieux dégâts durant la guerre, mais son utilisation en tant que caserne (à partir de 1610) y avait déjà apporté de grandes modifications. La façade est de la chapelle avec son architecture Renaissance suivant les modèles de l’école romaine d’architecture sacrale de Bramante et de Raphaël a pour la plus grande partie survécu à la guerre. Un monument unique d’histoire de l’art et d’architecture qui n’est conservé qu’à Jülich est la double rangée de colonnes au premier étage avec une colonne de soutien médiane que Pasqualini disposa dans l’abside. Côté ouest se trouve la galerie ducale ; pour cette raison la richesse de l’architecture et de la décoration est concentrée sur le premier étage. La Citadelle abrite aujourd’hui une école et le Musée de la Citadelle.

En 1794, la ville de Jülich, appartenant jusque-là au Duché du Palatinat-Neuburg, fut occupée par les troupes révolutionnaires françaises après la deuxième Bataille d’Aldenhoven. Jülich faisait dés lors partie, sous le nom de Juliers, du territoire de la France. Les nouveaux maîtres procédaient sans tarder à la modernisation des fortifications en mauvais état. Point faible des ouvrages datant du 16e siècle était avant tout le passage de la Roër qui assurait la liaison avec la France et qui était insuffisamment couvert par les pièces d’artillerie positionnées en ville.

Pour cette raison le Corps du Génie a projeté dés 1795 la construction d’une autre Impressionnante fortification sur la rive gauche, le Couronnement de la Roër (dit Brückenkopf-Tête de pont). Cet ouvrage à couronne a été construit entre 1799 et 1814 selon les plans du Capitaine J.B. Mallet. L’ouvrage situé sur la rive gauche de la Roër comprend un fossé de 30 m de largeur suivis d’un rempart de terre de 20 m qui est soutenu par un mur d’escarpe de 6 m de haut et de 1 m d´épaisseur.

Le mur d’escarpe construit en briques rouges se déroule sur une longueur de 930 m et abrite une galerie défensive de casemates continues munie de 500 embrasures pour l’infanterie.

L’enceinte est bâtie en forme de couronne à trois branches d’où le nom d’ouvrage à couronne. Elle est composée de 2 demi-bastions au nord et au sud, et d’un bastion entier au milieu.

Presque invisible pour l’attaquant se situent sur le rempart 7, traverses défensives à deux étages abritant les pièces d’artillerie. Le demi-bastion de gauche est en plus muni de 22 emplacements d’artillerie sur un niveau intermédiaire protégé par le mur d’escarpe. Seul ce bastion représente avec cet armement et 1600 m² de galeries casemates la phase fnale de construction projetée par Mallet et le corps du génie. Derrière le rempart se situe la place d’arme limitée par le mur de gorge qui sépare l’ouvrage du courant de la Roër.

Le rôle stratégique du Couronnement de la Roër qui couvre une superficie de 600 m x 300 était de protéger le passage de la rivière et la liaison vers Aix-la-Chapelle et la France. En plus il assurait la protection du flanc ouest de l’enceinte de la ville et l’entrée principale de Jülich au « Aachener Tor » (Porte d’Aix-la-Chapelle).

Le Couronnement constituait également un important élément de la conception générale élaborée par le corps du génie pour moderniser et renforcer la fortification de la Place de Juliers. Celle-ci comprenait principalement des travaux à la citadelle, la création de l’ouvrage à couronne de la Roër, des lunettes A-F en dehors de la ville et d’une importante fortification avec trois forts détachés sur les hauteurs dominant la ville (Fort Napoléon). Suite aux remarques critiques de l’Empereur lors de sa visite à Juliers en 1804, ce programme n’a pu être achevé qu’en partie jusqu’en 1813. Sous le régime prussien, les ouvrages commencés par les Français ont été achevés et peu de nouvelles constructions réalisées. L’armée prussienne utilisait le couronnement de la Roër jusqu’en 1898 comme magasin et place d’exercice. Son rôle stratégique se termine d’ailleurs déjà à partir de 1860 par le développement d’une nouvelle génération d’armement qui rendait les fortifications du système bastionné dépassées.

La restauration de la Citadelle débute en 1964 et est toujours en cours et accompagné par des historiens d’architecture et des archéologues, dont l’auteur fait partie. En 1998 a eu lieu à Jülich une importante manifestation de horticulture, la Landesgartenschau. Lors de cet événement, une multitude d’actions ont eu lieu autour de la Fortification napoléonienne, le Brückenkopf. Ces manifestations ont permis à la ville de Jülich avec le soutient de la province de la Rhénanie du Nord-Westphalie d’entamer la restauration quasi complète de cet ouvrage classé monument historique en 1984. Pour faire visiter ces monuments historiques uniques en Allemagne au publique, en plus du musée, l’idée de constituer un groupe de reconstitution historique est née, le Corps de Juliers, représente des personnages qui ont vécus et travaillés dans ces forteresses dans le passé.

La ville de Jülich abrite ainsi avec la Porte médiévale (Hexenturm) qui fut un élément important de l’enceinte du 14e siècle, la Citadelle du 16e et le Couronnement de la Roer du 19e siècle un ensemble unique représentant 600 ans d’histoire de la fortification.


■ Patrimoines militaires : naissance et reconnaissance

Manuelle AQUiLiNA
Maître de conférences, Université Catholique de l’Ouest, Vannes
Nicolas MEYNEN
Directeur de l’IUP « Métiers du Patrimoine », Maître de conférences, Université de Bretagne Occidentale, Quimper


À la fin du XIXe siècle, en raison des déclassements auxquels procède en nombre l’administration militaire, la question de la valeur patrimoniale se pose à propos de fortifications. Les premiers classements concernant des édifices militaires, loin d’être systématiques, ont été précédés (et certainement préparés) par une réflexion précoce que l’on perçoit tout au long du XIXe siècle. Ainsi Mérimée déjà, se penche sur l’intérêt patrimonial de certains ensembles architecturaux militaires, mais essentiellement en raison de leur ancienneté historique. Dans le même temps, des civils mais aussi des militaires, comprenant l’intérêt identitaire, mémoriel et artistique que représente ce patrimoine militaire, prennent l’initiative de protections privées tout à fait remarquables, initiant ainsi la première reconnaissance des patrimoines militaires.

 

■ Patrimoine militaire et urbanisation
Président de séance : Philippe JARNOUX


■ Valoriser les patrimoines militaires. L’exemple du Nord

Freddy DOLPHiN
Chef de Projet Septentrion, Mission Villes Fortifiées, Direction de l’Action Culturelle - Département du Nord


Le territoire de plaine qui s’étend de la mer du Nord à la Meuse présente un ensemble de villes fortifiées parmi les plus denses et divers d’Europe, témoins de son importance stratégique passée. Cette région offre ainsi un véritable catalogue grandeur nature de toute l’évolution de la fortification bastionnée affectant à la fois la conception de la défense et les structures urbaines à l’époque classique.

Ce laboratoire urbain spécifique, de l’application de modèles théoriques italiens des XVIe, puis français et néerlandais du XVIIe siècle au bénéfice d’une organisation des frontières et sa mise à l’épreuve à travers le rythme des confits successifs, est un cas de figure exceptionnel, qui justifie aujourd’hui l’ambition d’une légitime reconnaissance à travers une candidature transnationale au Patrimoine Mondial de l’Unesco associant la France, la Belgique et les Pays Bas. Ces villes bastionnées significatives de ce territoire demeurent des véritables témoins des échanges techniques et le point de convergence d’une Europe des ingénieurs de la fortification.

Ces villes ont depuis de nombreuses années opté pour leur mise en réseau, régionale d’abord avec la création en 1980, de l’association régionale pour la mise en valeur des espaces fortifiés de la région Nord Pas de Calais, puis encouragées par l’Union Européenne à développer des coopérations transfrontalières et transnationales à travers les programmes INTERREG.

Du pré carré à septentrion…

Fortes de ces expériences, elles se sont regroupées en 2003 autour du département du Nord qui mène depuis quelques années une politique volontariste et exemplaire de valorisation de ce patrimoine significatif dans le paysage urbain du Nord. 23 partenaires, dont 19 villes bastionnées du Nord de la France, de la Belgique et du sud des Pays-Bas, se sont retrouvés pour conduire une démarche innovante de coopération autour d’une même ambition, s’appuyer sur la ville fortifiée d’hier pour construire la ville durable de demain : le projet « SEPTENTRION ».

L’objectif, conduire et concevoir à l’échelle du nord ouest européen, pays de plaine et d’eau caractérisé par sa forte densité urbaine, un modèle vivant évolutif et transférable de la ville durable, fondé sur la lecture partagée de son histoire, de son patrimoine, de son évolution urbaine et sur une indispensable complémentarité renouvelée.

Le paysage urbain de ces villes demeurent fortement marqué par l’omniprésence de la fortification, qui inscrit la ville dans son site et permet d’en comprendre toute la genèse. Développer durablement nos villes et valoriser au mieux ce patrimoine en le plaçant au cœur des problématiques, c’est d’abord comprendre son évolution, son fonctionnement et tirer toutes les leçons de ce génie originel dans le cadre de projets d’aménagements contemporains. C’est ensuite permettre à chaque citoyen d’en comprendre le sens pour mieux encore s’approprier et vivre la ville fortifiée. C’est enfin partager des compétences et confronter nos solutions pour conduire une méthode du bon usage de la ville fortifiée et de son développement moderne.

Le projet Septentrion inscrit cette démarche innovante dans les pratiques quotidiennes pour une approche nouvelle, globale, concertée et participative de la valorisation de nos villes fortifiées.


■ Que faire du patrimoine militaire ? - l’exemple du port de Kiel en Allemagne

Lars HELLWINKEL, Docteur en histoire (Kiel, Allemagne)
Diplômé de la Christian-Albrechts-Universität zu Kiel (Allemagne) et de l’Université de Bretagne Occidentale Brest, Lars Hellwinkel a soutenu en mai 2006 une thèse de doctorat d’histoire contemporaine intitulé : Brest, base navale de la Kriegsmarine (1940-1944), dirigée en co-tutelle par les professeurs Michael Salewski (Kiel) et Christian Bougeard (Brest). Ancien boursier de l’Institut historique allemand à Paris et du Centre d’études d’Histoire de la Défense à Vincennes, il a participé à de nombreux colloques sur les industries de l’armement et les arsenaux en France pendant la Seconde Guerre Mondiale. Professeur d’histoire et de français dans un lycée à Kiel entre 2006 et 2008, Lars Hellwinkel travaille actuellement comme chercheur aux musées de la ville de Kiel.


Grand port naturel sur la Baltique, Kiel est devenue en 1871 base navale de la Marine impériale allemande. Pour cette ancienne petite ville marchande gemano-danoise, l’arrivée de la Marine prussienne signifiait un changement important dans son histoire. Tout autour de la rade, des installations militaires ont vu le jour. Du petit fort à l’entrée de la rade au grand chantier de la société Krupp, les installations militaires dominaient dorénavant la ville et la population qui comptait en 1865 environ 20 000 personnes, vu s’accroître à 250 000 âmes jusqu’à la Première Guerre mondiale. A côté des chantiers navals, la Marine impériale faisait construire de nombreuses casernements pour le logement de ses équipages et elle installait à Kiel plusieurs de ses écoles y compris la nouvelle Académie de la Marine.

Confrontée à l’arrêt quasi total des son économie concentrée sur l’armement et à une restriction importante de la Marine allemande par le traité de Versailles, la ville de Kiel essayait dans les années vingt de rompre avec son rôle traditionnel du grand port de guerre sur la Baltique. Pourtant, malgré les efforts de la municipalité d’installer à Kiel des industries civils, l’armement et la Marine ont très vite repris le terrain avec l’arrivée au pouvoir du régime nazi. à nouveau port militaire, cette fois-ci « ville de la Kriegsmarine », Kiel payait cher son rôle avec une ville détruite à 80 % à la fn de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi à ce moment que s’est posée pour la première fois la question quoi faire avec le patrimoine militaire ? L’ancienne Académie de la Marine fut alors transformée en parlement du nouveau land Schleswig-Holstein, l’hôpital de la Marine devint l’hôpital universitaire et les anciens chantiers navals et dépôts militaires disparaissaient sur l’ordre des autorités alliées.

Depuis cette époque, la reconversion des anciens bâtiments militaires à Kiel n’a pas encore touché à sa fn. Certes, la création de la Marine fédérale allemande en 1956 avait de nouveau rapprochée la ville à la Marine et elle a conduit à l’occupation d’une grande partie des installations, mais avec la réunification allemande la discussion sur le sort du patrimoine militaire a été reprise. La restructuration de la Marine allemande après l’octobre 1990 la fit quitter un grand nombre de bâtiments dont certains datent encore de la Marine impériale. Les dernières années ont montré les difficultés de reconvertir ces friches militaires en terrains utilisables. L’ancienne grande église de la garnison est ainsi devenue salle de concert, le terrain de l’ancien hôpital de la Marine vient d’être transformé en quartier résidentiel où les architectes ont su combiner les constructions modernes avec les anciens pavillons hospitaliers de la fin du 19e siècle. Mais il en reste les grandes surfaces des casernes et les bassins du port militaire délibérés par les flottilles supprimées ou stationnées ailleurs. Dans notre communication nous allons montrer comment la ville de Kiel a su gérer cette question de son patrimoine militaire.


■ Patrimoines militaires en milieux urbains : réussites et combats à mener

Christophe POMMIER
Ingénieur-conseil en tourisme culturel - Directeur associé, Cabinet Piette-Pommier, Ingénierie culturelle et touristique, Audit - Conseil - Direction de projets


L’objectif de cette communication est de présenter des projets de réhabilitation de patrimoines militaires réussis, d’origine et de destinés différentes, mais permettant de comprendre les multiples avantages, tant techniques que représentatifs, que peuvent contenir les bâtiments relevant de ces patrimoines militaires.

Introduction

Aujourd’hui, si une partie des patrimoines militaires sont encore utilisés par le ministère de la Défense, d’autres sont à l’abandon. Mais certaines collectivités ont su exploiter le potentiel de ces immenses constructions. Ces quelques exemples montrent que le ministère de la Défense est prêt à vendre son patrimoine inutilisé, et que les collectivités sont désireuses d’intégrer ces bâtiments à leur politique de développement urbain, chose rare il y a une vingtaine d’années.

Au travers de quelques exemples, voici une présentation de projets réussis ou en prenant le chemin, ainsi que d’ouvrages en voie d’abandon et sans projets de reconversion malgré leur implantation en tissu urbain.

1/Réhabilitation d’enceintes militaires fortifiées

- Nîmes

Restauration de la citadelle Vauban et reconversion en université : elle accueille désormais la Faculté de Droit et des Lettres de l’Université de Nîmes, en alliant transformations modernes et conservation et mise en valeur de l’architecture de la fin XVIIe s.

- Issy-les-Moulineaux

Projet de reconversion du fort d’Issy en un Fort Numérique. Sous ce nom commence à se construire un nouveau quartier de la ville d’Issy-les-Moulineaux, entièrement tourné vers les nouvelles technologies et répondant à des normes HQE.

2/ Une seconde vie pour les casernes

- Dijon

Jadis siège du 26e Dragons, la caserne Heudelet, après un court temps de désaffection, accueille désormais le siège de la communauté d’agglomération du Grand Dijon, ainsi que des résidences d’artistes. Focus sur un lieu qui combine cachet avec modernité.

- Moulins-sur-Allier

La caserne Villars, après plus de vingt ans d’inactivité et une destruction partielle, puis sauvée de la démolition par un classement au titre des Monuments historiques, accueille aujourd’hui le Centre National du Costume de Scène.

3 /Des sites en attente de reconversion

- Noisy-le-Grand (93), le fort de Villiers

Relevant du système Séré de Rivières, le fort de Villiers est aujourd’hui menacé de destruction pure et simple. Comment faire renoncer les collectivités aux offres des promoteurs et les amener à considérer leur patrimoine militaire comme une solution culturelle et touristique viable ?

- Versailles, le quartier de Satory

L’un des grands pôles militaires d’Île-de-France (il accueille la 3e BSC, la DCMAT, la STAT, le 1er GBGN et le GIGN) voit une grande partie de ses terrains mis en vente par le ministère de la Défense. Peut-on y faire autre chose qu’une zone industrielle ?


■ La protection « monument historique » du patrimoine militaire en Bretagne et sur la façade atlantique : actualité

Christine JABLONSKI
Conservateur des monuments historiques, Conservation régionale des monuments historiques de Bretagne - Rennes


La désaffectation progressive de nombreux sites fortifiés littoraux par la Marine a conduit celle-ci à s’interroger sur la préservation à long terme de ce patrimoine. Cette réflexion était en germe dans les services du ministère de la Culture depuis plusieurs années. En effet, dès 1994, la COREPHAE, devenue depuis CRPS (commission régionale du patrimoine et des sites), s’intéressait à la protection des fortifications de Belle-Ile-en-Mer et complétait la protection existante. Une première étude avait, en 1993-1994, concerné la rade de Brest (SDAP du Finistère).

Puis, en 1995 et 1996, une étude a été menée sous l’égide de la DRAC Bretagne pour le recensement des fortifications de Bretagne à partir des sources d’archives. Enfin, une demande de l’architecte des bâtiments de France du Finistère au sujet de la nécessaire protection des fortifications du Finistère conduisit à la constitution d’un groupe de réflexion, réunissant les experts de la Marine, les Directions régionales des affaires culturelles de Bretagne Pays de Loire et Basse-Normandie, conservation régionale des monuments historiques (CRMH) et les Conseils régionaux service régional de l’inventaire (SRI) des mêmes régions afin de mener à bien l’inventaire de ce patrimoine et de déterminer des priorités de protection. à partir de 2002, le Service régional de l’inventaire culturel a mené en Bretagne une enquête thématique régionale des fortifications littorales, financée par des crédits de la CRMH, sur les mêmes principes de croisements de points de vue entre inventaire et protection. Les principaux résultats de cet inventaire seront prochainement disponibles sur le site Internet de la Région Bretagne.

Ces inventaires ont permis d’identifier des sites majeurs, qui ont été présentés à la session de juin 2008 de la Commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS) :

•    Roscanvel, les Capucins et la batteries de Cornouaille ;
•    Fouesnant, Les Glénan, fort Cigogne ;
•    Camaret, le Toulinguet ;
•    Brest, le bâtiment aux lions
•    Landéda, Fort Cézon
•    Plougonvelin, Fort de Bertheaume
•    Saint-Jacut de la Mer, Tout des Hébihens.

La commission a décidé de protéger plusieurs de ces sites. à présent, ces monuments, aux termes des dispositions du Code du patrimoine : « Ne peut être détruit ou déplacé, même en partie, ni être l’objet d’un travail de restauration, de réparation ou de modification quelconque, si l’autorité administrative compétente n’y a donné son consentement. Les travaux autorisés en application du premier alinéa s’exécutent sous la surveillance de l’autorité administrative. »

Cette préservation des édifices à long terme nous amène à réfléchir sur le lien protection/restauration/valorisation. Cette question est loin d’être neuve et se pose pas que pour le patrimoine militaire. Cependant, cette question se pose avec plus d’acuité dans le sens où ce sites ont longtemps été soustraits à la vue du public, que leur perception en tant que patrimoine n’est pas évidente, et que leur stratification est souvent complexe. En outre, la question de la réutilisation, qui a déjà fait l’objet de colloques, ne doit pas être évitée. Enfin, la restauration est rendu complexe par le fait que, par exemple, des fortifications Vauban ont été réutilisées au 19e et au 20e siècle, réaménagés pour être adaptées à l’évolution de l’artillerie : une bonne illustration en est la batterie de Cornouaille.


■ Identité, héritage et mémoire commune
Président de séance : Nicolas FAUCHERRE


■ Les blockhaus : lieux de confits, patrimoines de l’oubli. Exemple du littoral aquitain

Thao TRAN
Maître de Conférences en Géographie (CNU 23), Université de Pau et des Pays
de l’Adour
Isabelle DEGRÉMONT
Maître de Conférences - Université de Pau et des Pays de l’Adour, Société,
Environnement, Territoire, UMR 5603 CNRS, Domaine universitaire IRSAM


L’aménagement, la requalification, la réhabilitation ou encore la reconversion des sites dégradés et abandonnés - friches industrielles, agricoles, urbaines, militaires - mettent en exergue l’important patrimoine laissé en France à l’abandon. On est marqué par ces lieux chargés d’histoire, une histoire qui peut être revendiquée ou subie. De ce fait, l’appropriation du temps - les héritages - permet souvent une appropriation de l’espace - les spatialités patrimoniales. Le processus de patrimonialisation intervient souvent lorsqu’un lieu perd les valeurs pour lesquelles il a été créé et qu’il est conservé pour entretenir la mémoire, le témoignage, les vestiges du temps passé et pour lutter finalement contre l’oubli. Une étude géographique et historique du littoral aquitain est menée afin de comprendre les relations entre confits et identités autour de la non préservation des blockhaus le long du littoral aquitain. Les ouvrages de défense pendant l’occupation de 1940-1944 témoignent de l’importance des sites stratégiques. Les frontières et les côtes de France fortifées sont jalonnées de ces blockhaus qui symbolisent le Mur de l’Atlantique, héritage de la dernière guerre mondiale et d’un passé fort peu glorieux. Ils appartiennent aux réalités des paysages du Sud-Ouest ; des plages aquitaines à la forêt landaise, ils constituent la seule référence à la guerre. Pourtant, ils restent des non-lieux, non reconnus et valorisés par rapport à un patrimoine offcialisé. Que faire aujourd’hui de ces blockhaus, de cet héritage ? Pourquoi ne sont-ils pas devenus des hauts lieux du patrimoine historique, militaire, archéologique ou architectural ? Il est étonnant qu’un itinéraire - voire une route - des blockhaus allemands n’ait pas mis en valeur l’identité de la région aquitaine et son inscription dans l’histoire militaire européenne, voire internationale. À ce jour, aucun projet d’aménagement du littoral n’a encore pris en compte cet aspect.

Pourtant, les confits d’usages, de politiques, d’acteurs ont succédé au confit militaire. Les valeurs négatives véhiculées par ces ouvrages de défense restent prégnantes, ce sont des lieux de combat donc de mort, des lieux peu esthétiques qui ont tendance à enlaidir le paysage, des lieux de la marginalité, des lieux interlopes. Leur aménagement ou leur destruction imposent des coûts importants ; faute d’une politique commune au niveau régional et national, les blockhaus sont voués à disparaître inexorablement. Tout lieu non entretenu laisse au cours du temps, la nature reprendre ses droits. Certains blockhaus sont ensevelis par les eaux – érosion littorale –, le sable, la végétation et cette reconquête naturelle est déjà bien avancée. Il est alors intéressant de comprendre les valeurs et les pratiques que véhiculent ces lieux contestés. Dès lors que le consensus n’existe pas, les projets d’aménagement ou de développement n’aboutissent pas à créer des lieux collectifs de cohésion et de paix…


■ « The Baltic Fort Route »

Dr.-Ing. Hans-Rudolf NEUMANN
ICOMOS / ICOFORT, Sc Coordinator Baltic Fort Route (Allemagne)
Project of international cooperation, development of a new culture route and protection of fortifications as culture heritage - The Baltic Culture and Tourism Route Fortresses


Fortresses and fortifications have been historic witnesses for confrontations between empires. Excellent military architecture, which was developed in the last centuries, belongs to the European legacy. The main task of the Baltic Fort Route - with financial support of European Union - is the transformation of historic fortifications into centres of culture, art, leisure, tourism and experiences of nature.

Fortresses have an important influence on the development of towns and of economy in whole Europe, and they have formed the structure of towns and town centres. European fortresses are unique as military-historic objects -they are part of the general heritage in the world. Some of them are standing on the World Heritage list of UNESCO.

A new, peaceful life inside of fortresses and fortifications as historic monuments allows the opening for international cooperation getting best European experiences and knowledge for reconstruction, maintenance and modern use for tourism development.


■ L’héritage de la négligence. Les lignes de fortifications de la Guerre d’Indépendance dans la Baie de Cadix (1810-1812)

Juan TORREJON
Professeur/chercheur, Université de Cadix (Espagne)
Anny GRUSKA
Ingénieur, UMS Histoire et archéologie maritime  [=J


Avec la victoire déterminante de l’armée napoléonienne à Ocagna le 19 novembre 1809, la route vers l’Andalousie était ouverte. Après avoir franchi la Sierra Morena les troupes de l’ Armée du Midi en Espagne, commandées par le maréchal Soult, avancèrent victorieusement, rentrant à Jaen, Cordoba, Séville et Grenade. La prise de Séville fut confiée au 1er corps d’armée avec à sa tête le maréchal Victor qui après avoir occupé la ville, reçut l’ordre de marcher vers Cadix, objectif principal de la campagne. Prendre et occuper Cadix avait une importance fondamentale pour différentes raisons essentielles :

1) C’était port de commerce le plus important de l’empire espagnol : il
centralisait la plus grande part du commerce d’outremer et était la porte
d’entrée en Espagne de l’argent provenant d’Amérique ;
2) Le plus important arsenal de la marine de guerre espagnole se trouvait dans sa baie ;
3) La ville était le plus solide point d’emprise britannique en Espagne ;
4) Il y avait un nombre élevé de prisonniers français.

Les troupes de Victor - qui étaient d’excellentes unités militaires - atteignirent la baie de Cadix le 5 février 1810 où elles rencontrèrent une résistance acharnée dans la ville de La Real Isla del Léon (nom qu’avait alors l’actuelle ville de San Fernando) et dans celle de Cadix, lieux qui devinrent alors les défenseurs les plus déterminés de l’indépendance espagnole. Les sommations et promesses présentées par l’armée napoléonienne à ces populations pour que les portes s’ouvrent reçurent un refus catégorique.

Devant l’impossibilité de réussir l’assaut de la Isla del Léon, le maréchal Victor opta pour effectuer un blocus terrestre, qui dura jusqu’au 25 août 1812. Pour ce faire, utilisant des anciennes fortifications espagnoles et construisant de nouveaux forts, bastions et batteries, les unités françaises érigèrent dans la baie de Cadix une ligne étendue de fortifications, d’à peu près 35 km de long. Du côté espagnol aussi s’édifièrent d’autres importantes lignes de fortifications en face du territoire occupé par les Français, avec la collaboration des troupes de leurs alliés qui étaient à cette époque les Britanniques et les Portugais. Il y a beaucoup

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Published by Association Valoriser les Patrimoines Militaires